New York Vendée - Les Sables d'Olonne New York Vendée - Les Sables d'Olonne
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24 December 2020 - 06h47 • 16882 vues

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Alors que la tête de flotte se rapproche (lentement) du point Nemo, l’endroit le plus éloigné de toute terre, avec toujours Yannick Bestaven en tête, voilà qu’il faut choisir entre, au Nord, une autoroute toute cabossée par les vents contraires qui ceinturent de hautes pressions, ou au Sud, une bretelle en plein déplacement sur la voie du cap Horn… Un dilemme pour bretter cette épée de Damoclès qui s’est invitée sur le parcours !

Pour tenir un pantalon, il faut choisir. Pour aller au cap Horn, aussi ! Dans le schéma virtuel où les seules barrières sont des terres émergées ou des blocs de glace, le Pacifique se résume à une grande autoroute, de la Nouvelle-Zélande au Chili, où circulent les dépressions australes en respectant la limitation de vitesse entre 20 et 35 nœuds. Mais le monde actuel n’est pas (encore…) un algorithme : même les routages prédisent n’importe quoi ou presque. Car les logiciels n’ont pas (encore…) intégré les brises volages et préfèrent aller vite nulle part que lentement vers un but.

Une embolie pacifique

Comme le répète souvent un routeur de talent : « un anticyclone, c’est comme une pâte à crêpes qu’on étale sur une plaque chauffante : il y a toujours des zones en dentelle à la couronne ! » Et ce n’est pas parce que le dieu Éole s’acharne à agiter sa spatule en bois que les grumeaux vont disparaître… Bref, les conditions réelles sur l’eau n’ont pas grand-chose à voir avec les quelques fichiers météo (américains ou européens) qui tentent de cerner le problème !

En fait au cœur du Pacifique, viennent se greffer des artères qui mènent du Brésil au détroit de Drake mais parfois, un caillot se forme qui bouche la circulation : pas de veine ! C’est le cas en cette fin d’année où la Zone d’Exclusion Antarctique (ZEA), suivant approximativement le 55° Sud pour entourer le continent antarctique et préserver les solitaires de l’apparition d’une glace dérivante, vient limiter les glissages pour cause d’un anticyclone malvenu. Il n’y a donc pas trop le choix si ce n’est de ceinturer les hautes pressions en passant par le Nord, face à des brises contraires, ou de transpercer la bulle en espérant trouver un passage par le Sud.

La tactique prime sur la stratégie

Le premier cas est joueur mais s’appuie sur des prévisions qui laissent entendre que la cellule va continuer à migrer vers l’Est (ce qui fait beaucoup de près jusqu’au week-end inclus) : c’est semble-t-il la solution adoptée le leader Yannick Bestaven (Maître CoQ IV) et par les « chasseurs », Thomas Ruyant (LinkedOut) en tête, avec Boris Herrmann (SeaExplorer-YC de Monaco) et Jean Le Cam (Yes We Cam!) à 150 milles environ derrière. Et encore : la plupart replonge au Sud-Est pour contrôler… La deuxième proposition imagine que la modélisation n’est pas fiable à 100% (ce qui s’est déjà présenté auparavant) et que la route la plus courte est parfois la meilleure et « à dieu vat ! » (comme on disait dans la marine à voile pour enclencher un virement de bord avec des voiles carrées…).

Cette dernière formule, qui devrait privilégier les empannages (ou lof pour lof) plutôt que les virements de bord stricto sensu, est tactiquement nettement plus logique : il est préférable de perdre un peu de terrain plutôt que de partir sur un « bord du facteur » car en général, celui qui s’arrête devant, repart en premier… Mais bon : tout cela n’est que poudre de perlimpinpin derrière un écran d’ordinateur quand les véritables solitaires n’ont que le ciel à observer, la mer à analyser, le baromètre à surveiller, la risée à anticiper, la bascule à programmer, la voilure à peaufiner, le repas à préparer, le sommeil à envisager et le nuage à câliner…

S’extraire des hautes pressions

Bref, l’objectif est désormais de sortir de cette bulle anticyclonique, mais cela ne va pas être simple : elle se décale lentement (à la vitesse d’un poney au trot, soit aussi vite que les solitaires) vers le cap Horn et à ce rythme, il faudra probablement attendre la fin du week-end pour que la situation se décante. Très certainement, il faudra tirer des bords face à une brise d’Est d’une douzaine de nœuds ! En plein Pacifique, il y a comme un paradoxe… Mais dans l’ensemble cette pause est bienvenue : nombre de skippers ont profité de cette journée particulière pour faire un ‘check’ général, voir même pour monter en tête de mât histoire de réparer ou de vérifier l’état des ‘hooks’, des drisses, du gréement.

Pour autant, ce n’est pas le calme plat mais la brise est comme qui dirait volage, instable, taquine, voire même incertaine. Or un solitaire ne peut pas continuellement adapter la voilure aux sautes d’humeur d’Éole… Les traces zigzagantes signifient donc qu’il vaut mieux suivre le vent que tenter de l’apprivoiser ! C’est aussi l’opportunité d’envoyer un spinnaker qui a longtemps traîné dans la soute à voile et n’a pour l’instant, essentiellement servi qu’à matosser.

Alors qui sortira en tête de ce magma anticyclonique ? Certainement le leader actuel qui cherche à rester au Nord des hautes pressions mais Yannick Bestaven doit tout de même surveiller la trajectoire de Charlie Dalin (Apivia) qui, 170 milles plus au Sud, longe la ZEA à une quinzaine de milles. L’un contourne, l’autre transperce. Mais au final, il ne semble pas acquis que l’un est plus raison que l’autre car il faudra attendre le début de semaine prochaine pour « compter les bouses » : une dépression se formera alors près du point Nemo et c’est le premier qui l’attrape qui s’envole…

Compression dépressive

Pour le groupe des poursuivants, la compression est significative : il n’y a qu’une cinquantaine de milles d’écart entre le quatrième (Benjamin Dutreux) et le neuvième (Giancarlo Pedote) ! Difficile de faire des pronostics quand les vitesses sont proches de dix nœuds… Mais c’est une bonne opportunité pour Maxime Sorel (V and B-Mayenne) de revenir au contact et pour Louis Burton (Bureau Vallée 2) de combler son déficit. Ce dernier naviguait encore cette nuit (heure française) dans un flux puissant d’une trentaine de nœuds, au près le long de la ZEA, mais avec un monocoque IMOCA ayant retrouvé son potentiel après les réparations de Macquarie.

A contrario, Clarisse Crémer (Banque Populaire X) et Romain Attanasio (PURE-Best Western Hotels & Resorts) peuvent enfin reprendre leur route « normale » en arrière de cette dépression néo-zélandaise fort peu appétissante : le duo a bien fait de laisser passer ce phénomène et va pouvoir allonger la foulée dans un flux de secteur Ouest plus maniable. Quant à Armel Tripon (L’Occitane en Provence) ralenti par une excroissance anticyclonique, il va aussi accélérer dans un vent de Sud-Ouest plus établi.

Au bord de la zone AMSA

Derrière, la « guirlande » a en grande partie débordé le point le plus extrême du plateau AMSA définie par les services maritimes australiens et ils ne sont plus que cinq en arrière de la longitude du cap Leeuwin. Les conditions météo s’annoncent paisibles jusqu’à samedi midi, mais à ce moment, il faudra négocier une méchante dépression australienne avant la Tasmanie : mieux vaut être devant ou derrière qu’au milieu ! C’est donc plutôt le groupe emmené par Stéphane Le Diraison (Time for Oceans) suivi par Didac Costa, Jérémie Beyou, Manu Cousin et Kojiro Shiraishi qui risque d’être impacté.

Dans un premier temps, il faudra s’extraire du plateau AMSA dans un flux de Nord-Ouest modéré favorable, mais ensuite éviter de plonger vers les Cinquantièmes Hurlants où l’état de la mer devrait être chaotique. Bref avec un océan d’écart (plus de 3 000 milles), le peloton australien n’a pas du tout les mêmes conditions météorologiques que les leaders. Comme le répètent souvent les solitaires, « la route est encore longue », mais si les premiers se rapprochent inexorablement du but (même lentement), les derniers s’en éloignent encore car la mi-parcours orthodromique est à 12 205 milles des Sables d’Olonne !

La rédaction du Vendée Globe / DBo.