New York Vendée - Les Sables d'Olonne New York Vendée - Les Sables d'Olonne
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26 December 2020 - 06h47 • 28923 vues

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Il y a comme un obstacle sur la route du Horn et ce n’est pas une aire de tout repos ! Une bulle qui ne veut pas se dégonfler mais seulement se décaler vers l’Est, impose des voies divergentes à un groupe de onze bateaux qui tentent de se débarrasser de cette cellule collante. Et si Yannick Bestaven semble en passe de contourner cette zone de hautes pressions, il y a encore plus de 2 500 milles avant d’entr'apercevoir le caillou sud-américain balayé par un très mauvais coup de vent le week-end prochain…

Rien, ou presque, ou si peu, si proche du zéro. Une sorte d’évaporation, d’aspiration, de vide intersidéral, d’occlusion aérienne, d’abréviation éolienne, d’apocoque éthérée. Un ventre si mou qu’on pourrait s’y enliser. Un nettoyage au Karcher vélique. Un coup de Bissel sur la moquette pacifique. Pas une miette, pas un cheveu, pas un zeste, pas un atome qui virevolte ! Un air de rien… Une aire où il n’y a rien !

Alors quand dans le tableau arrière, plus de 17 000 milles ont défilé, qu’il a fallu trimer jour et nuit pour grignoter mètre par mètre le petit décalage qui augurait d’espoir, que les bras s’en souviennent et que les muscles tétanisés aspirent à la pause, que ces flots oniriques se métamorphosent en cauchemar, que ces saveurs pacifiques prennent un goût d’amertume… que faire d’autre que se concentrer sur la ride qui se propage au loin, sur ce souffle qui dévale le nuage en s’évaporant, sur ce mince filet qui s’ébroue mais ne remue rien.

Pression, dépression, compression

Qu’y a-t-il donc au large de si terrible pour que les navigateurs s’enquièrent de moult fichiers météo et de nombre d’images satellite ? Un trou, une bulle, une cellule, un marasme, un gouffre de néant : un anticyclone s’est installé sur la route et glisse lentement vers l’Est, juste à la hauteur de la ZEA ! Et ses isobares s’étirent vers le continent sud-américain comme un Zébulon qui exhale des bouffées de fraîcheurs antarctiques, tels des pschitts qui dégazent pluies tenaces et zéphyrs éphémères. Il peut donc y avoir quelques brises évanescentes, quelques souffles iconoclastes : de quoi perdre sa zénitude quand toute l’avance accumulée se réduit à peau de chagrin, quand le pécule se dévalue comme en crise systémique.  

Ainsi le leader d’avant-hier est-il parti chercher une voie dans le Nord-Est pour accrocher une dépression en formation, tandis que le leader d’hier changeait son fusil d’épaule pour le rejoindre après avoir mangé son chapeau dans les grumeaux de l’anticyclone. Quant au troisième d’avant, ses virevoltes septentrionales ne lui ont apporté qu’interrogations, doutes et moral en baisse… Pendant que le peloton des chasseurs s’enfonçait inexorablement dans le mou ! Bref, la nuit (heure française) n’a pas modifié sensiblement la hiérarchie des premiers de cordée, si ce n’est qu’Armel Tripon (L’Occitane en Provence) s’est « offert » Romain Attanasio (PURE-Best Western Hotels & Resorts) au grand large de la Nouvelle-Zélande… Certains veulent s’extraire de la pression, d’autres partent chercher la dépression et finalement tout le monde se retrouve en compression !

Exciper de la spécificité éolienne

Alors d’aucuns peuvent invoquer pour leur défense la particularité de la situation météorologique : ce n’est pas courant d’avoir à négocier de hautes pressions en plein cœur du Pacifique par 55° Sud… La configuration est en effet spécifique et les légers décalages à l’abord de cet anticyclone flirtant avec le point Nemo, ont imposé des trajectoires fort différentes selon la position initiale des postulants au passage prioritaire du cap Horn : Yannick Bestaven (Maître CoQ IV) n’avait pas d’autre solution que d’aller chercher la baston vers le septentrion pour mieux "redescendre" vers la pointe chilienne ; Charlie Dalin (Apivia) pouvait certes prendre son sillon, mais avec bien des difficultés et toujours un delta : mieux valait donc tenter le diable en percutant l’anticyclone avant d’obliquer à gauche ; Thomas Ruyant (LinkedOut) aurait bien voulu suivre l’un ou l’autre, mais son décalage temporel et spatial lui ont imposé une route brisée.

Enfin, le peloton compressé par cette barrière moléculaire et emmené alors par Benjamin Dutreux (OMIA-Water Family) ne pouvait que piaffer en constatant, la mer aux dents, que les « retardataires » se refaisaient la cerise à l’image de Maxime Sorel (V and B-Mayenne) ou de Louis Burton (Bureau Vallée 2), revenus du diable-vauvert (250 milles gagnés en quatre jours !). Chacun de ces dix prétendants à ébranler le trône de Yannick Bestaven aura de quoi justifier ses choix face à ce magma informe aux soubresauts imprévisibles et à l’étirement peu commun. Reste désormais à accrocher cette dépression subtropicale venue se rafraîchir ce week-end dans les profondeurs antarctiques : ce groupe de onze solitaires devrait la chevaucher dès le début de la semaine prochaine pour une grande cavalcade vers le cap Horn…

Du mou pour certains, du dur pour d’autres !

Derrière, à plus de 1 000 milles du leader, c’est aussi une excroissance anticyclonique qui sévit au large de la Nouvelle-Zélande : Clarisse Crémer (Banque Populaire X) a réussi à la laisser dans son tableau arrière, mais Romain Attanasio n’a rien pu faire pour contrer le retour d’Armel Tripon. Ces deux solidaires ont tout de même profité de l’occasion pour enchaîner deux réveillons de Noël puisqu’ils ont passé l’antiméridien dans la foulée… Et désormais, les deux compères jouent du virement de bord pour croiser le fer. Dans une brise volage et instable qui ne facilite pas les choix stratégiques. Un mauvais moment à passer car dans l’Ouest, une nouvelle dépression va venir les interpeler.

Oh, bien légèrement, puisqu’elle porte d’abord le Suisse Alan Roura (La Fabrique), puis 300 milles plus loin, Arnaud Boissières (La Mie Câline-Artisans Artipôle) et Pip Hare (Medallia) : l’entame du Pacifique leur est plutôt favorable ! Ce qui risque de ne pas être tout à fait le cas pour les suivants, car une dépression australienne est en train de bousculer les acquis à l’orée de la Tasmanie. Trois solitaires (Beyou-Le Diraison-Costa) se font secouer par une grosse trentaine de nœuds de secteur Nord à la sortie de cet océan Indien peu coopératif, à tel point que Manu Cousin (Groupe SÉTIN) a préféré rompre le contact pour naviguer bien plus au Nord, loin des affres de cette perturbation ! Et pendant ce temps, le Japonais Kojiro Shiraishi (DMG MORI Global One) s’est judicieusement glissé au Sud dès le plateau AMSA franchi, pour suivre la trace de cette dépression sans trop coup férir.

Enfin, à plus de 3 500 milles du leader, Miranda Merron (Campagne de France) est en train de larguer Clément Giraud (Compagnie du Lit-Jiliti) après avoir « abandonné » Alexia Barrier (TSE-4myplanet) partie se recadrer plus au Nord pour ne pas être perturbée par la Zone d’Exclusion Antarctique. Une ZEA que le Finlandais Ari Huusela (STARK) va devoir aussi négocier dès ce soir ! Comme le suggérait le père de la chimie moderne à la fin du 18ème siècle : « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme… ». Reste maintenant à patienter quelques heures avant que la configuration météorologique ne se trémousse, à l’avant comme à l’arrière de la flotte !

 

La rédaction du Vendée Globe / DBo.