New York Vendée - Les Sables d'Olonne New York Vendée - Les Sables d'Olonne
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20 Janvier 2021 - 15h00 • 13601 vues

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Médecin référent du Vendée Globe, le docteur Jean-Yves Chauve aborde toutes les semaines la course sous l'aspect médical.

" Les jours succèdent aux jours, vous n’en faites plus vraiment la différence. Seuls les appels à terre sont là pour vous dire que l’on est mercredi ou dimanche. Ici, ce temps-là n’a pas cette importance. Le rythme de votre vie, c’est sur l’écran, les flèches de vent des cartes météo reçus du satellite. Aujourd’hui, ces petites marques vous disent que vous accrocherez bientôt ce souffle régulier qui vous propulsera à bonne vitesse vers le nord. Votre temps à vous, c’est ce point que vous avez défini sur la carte où, si tout va bien, vous serez bientôt.

Il est encore trop tôt pour avoir la nostalgie de ce voyage aux confins de soi-même, mais il a été à la hauteur des révélations que l’on y attendait.  Un jour, quand les contraintes et les trépidations de la vie terrestre deviendront trop insupportables, reviendra l’envie d’y revenir pour s’y ressourcer et s’y transcender de nouveau.  Dans quatre ans, peut-être ? En attendant, on parcoure la carte du regard, en suivant la ligne rouge de la trace du bateau, pour se remémorer les méandres qui savent dire, là  le gros coup de vent, là l’erreur de l’option Nord, là, la réparation et tout en bas, le Horn, la terre précieuse de ce voyage.

Désormais les côtes de l’Europe sont bien visibles, là-haut à droite de l’écran avec au milieu de l’arc de cercle du Golfe de Gascogne, le port des Sables. Vous y pensez, vous avez même une assez bonne idée de votre date d’arrivée, mais pour l’instant, vous avez encore envie de vivre ici, dans cette bulle en orbite autour du monde.

Alors de ce temps, vous en garderez des images en flash-back comme si vous pouviez en retenir l’éphémère. Cette aube par exemple. Dans le noir sans lune de la nuit, une imperceptible clarté est apparue là-bas à l’est.  Elle a d’abord esquissé la ligne d’horizon sur le sombre de la mer. Puis elle s’est élevée lentement, dessinant les nuages gris sur le fond bleuté. Puis le bleu a envahi tout le ciel avec le mât et les voiles se découpant en contre-jour, comme d’immenses figures géométriques. Le bleu s’est éclairci peu à peu pour devenir turquoise. Alors la lumière a fait jaillir les couleurs, les bandes de nuages d’un blanc floconneux, les voiles aux logos multicolores, les vagues aux reflets argentés. Enfin le soleil est sorti de la mer comme un énorme disque orange presque déplacé au milieu de ces bleus intenses. Pour compléter le tableau, un groupe de dauphins s’est approché pour sauter autour de l’étrave, comme pour vous dire bonjour.

En bon reporter, vous avez filmé ce moment magique. Difficile sans doute de faire passer votre ressenti et la plénitude de l’instant, mais les images sont belles, comme une carte postale d’un endroit que peu de gens auront le bonheur de connaître, car l’extraordinaire de cette compétition planétaire est de se dérouler sans témoins. Ici, au milieu de cette immensité liquide, il n’y a ni stade, ni circuit, ni spectateurs pour applaudir, ni invités pour s’enflammer, ni journalistes pour commenter. Le seul public est le skipper lui-même, alors on lui demande de raconter. C’est même une obligation précisée dans l’avis de course : Chaque skipper s’engage à transmettre à l’Organisation à minima 2 minutes d’images vidéo 3 fois par semaine pendant toute la durée de la course.

De coureur d’océans vous voilà devenu correspondant de mer. Mais face à un évènement potentiellement médiatique, il faut avoir le reflexe de déclencher la caméra, de bien cadrer la scène et de témoigner avec les mots qui vont bien. Pas simple quand la priorité est, par exemple, la sauvegarde du bateau au plus fort d’un coup de vent ou la résolution d’un problème technique ou médical. Pourtant, ce sont ces difficultés et votre manière de les vivre et de les exprimer qui suscitent l’intérêt et l’émotion. C’est ce que l’on attend de vous et vous en avez conscience.

Ce rôle de reporter du large est une compétence qui s’ajoute à toutes les autres. Seul à bord, isolé sur l’océan, il ne suffit pas d’être marin confirmé et stratège en météo. Face à un aléa, au-delà des conseils des techniciens à terre, un savoir-faire précis est nécessaire que ce soit en mécanique, électricité, électronique, informatique ou composite. Un travail de skipper-ingénieur.

En outre, la gestion de sa propre physiologie est essentielle. Elle exige de posséder des notions sur le sommeil ou la nutrition en conditions extrêmes. Face à un accident ou une maladie, pour être les yeux et les mains du médecin, une formation médicale pointue est nécessaire. Le skipper n’est pas seulement ingénieur mais il doit être son propre entraineur et soigneur.

Je ne connais pas d’autre sport qui exige autant de capacités de haut-niveau sur le plan mental et physique. De plus, devoir gérer en totale autonomie toutes ces contraintes en fait de véritables exploits. Des exploits dont ils nous parlent avec modestie et même humilité car la mer, comme la montagne, sont des milieux vivants où l’homme n’est admis que le temps de son passage, une permission souvent sanctionnée de combats, de fortunes de mer et d’illusions perdues.

Confortablement installé devant l’écran, on assiste au quotidien à cette lutte héroïque transocéanique avec des personnalités qui se révèlent jour après jour, au fil de ce qu’ils expriment sur leur visage et dans leurs mots, qu’ils soient garçons ou filles.  Il y a les raconteurs d’histoires avec leur franc parler qui étonnent et amusent, les réservés qui savent susciter l’imaginaire, les performeurs précis et directs que l’on admire, les bons-vivants spontanés et simples, les communicants qui montrent tout de leur vie, les sereins toujours de bonne humeur qui gèrent leurs soucis sans faiblir, les éprouvés avec qui on partage l’injustice d’une mer cruelle.

On ne risque pas d’être frustrés, il y a profusion d images et de sons, avec de grands classiques : le sillage qui s’étire sur la longue houle, l’eau qui s’écoule en cascade à l’arrière du cockpit et le visage du skipper qui vous regarde et raconte comme s’il était en face de vous, à tel point qu’on pourrait s’y croire. Mais il faudrait l’humidité, les chocs, le bruit, les dangers, le manque de sommeil, la vigilance permanente pour réellement comprendre cette vie solitaire autour du monde.

En 1989, lors de la première édition du Vendée-Globe, on était très loin de cette proximité.  A bord, il n’y avait ni téléphone, ni caméra, juste un poste de radio, genre radio-amateur. A l’aide d’un bouton rotatif, on cherchait la meilleure fréquence pour établir une liaison avec Saint Lys, la radio dédiée au maritime. L’opérateur  appelait par téléphone le correspondant demandé "Ici Saint Lys Radio, ne quittez pas, on vous appelle du navire UNTEL".

Depuis la terre, pour joindre un bateau, la demande de contact était transmise sur les ondes à la 3e minute de chaque heure après l’indicatif connu de tous les marins de l’époque : les quatre premières mesures, jouées à l’accordéon, de l'air célèbre de la marine à voile, "Valparaiso", (Hardi les gars, vire au guindeau, Good bye farewell, Good bye farewell), suivie de l'annonce: "ici Saint Lys Radio, service radiotéléphonique avec les navires en mer. Cette transmission est effectuée au niveau normal de parole, pour permettre le réglage des récepteurs de bord" (écoutez la dernière de Radio Saint Lys) 

L’oreille collée au haut-parleur, au milieu des crachouillis et des parasites, on attendait son tour en entendant toutes les conversations qui précédaient la sienne. On assistait ainsi à des échanges amoureux torrides, à de violentes  disputes, mais aussi à des annonces de décès ou de naissance. C’est ainsi que Loïck Peyron, en 1990, apprenait, au milieu de l’océan Indien, la naissance de sa fille Marie à qui il avait donné Kerguelen comme deuxième prénom.

Une fréquence spéciale était attribuée au Vendée Globe. A heure fixe, débutait le rituel de la vacation. Denis Horeau, alors directeur de course, lisait religieusement le bulletin météo pour les zones où se situaient les bateaux. Suivait le classement puis les appels aux concurrents qui se racontaient, à l’oreille de tous. Les conversations étaient reprises par les radios nationales. Il fallait tendre l’oreille tellement la liaison était mauvaise, mais ces transmissions chargées d’interférences donnaient la mesure de l’éloignement, de la solitude et du danger avec l’impression que le son venait d’ailleurs, peut-être même d’une autre planète. Mais ces paroles sans images suscitaient l’imaginaire et chacun s’appropriait l’histoire selon son propre vécu sur l’eau, de la balade en barque sous un orage à la traversée du Golfe du Lion un jour de Mistral.

Aujourd’hui, la liaison instantanée, à maturité dans cette édition grâce à Whatsapp, a inventé la proximité à distance. Il suffit d’un numéro de portable et hop ! Le bateau ou la terre en direct. Simple et efficace, n’est ce pas ?

Sur le plan médical, rien à voir avec les télex de l’époque héroïque mettant plus d’un quart d’heure à transiter entre le bateau et la terre.  Hier par exemple, Laure Jacolot* a reçu une photo d’une inflammation de la peau au niveau d’un visage. Le genre de problème difficile à décrire par des mots. Elle me l’a transmise, nous en avons discuté. Par sécurité, elle a adressé cette même photo à un dermatologue. Il a suffi ensuite de quelques minutes pour réunir nos trois avis et donner la conduite à tenir.

A terre, il aurait fallu des jours voire des semaines, pour avoir ces 3 consultations, avant de proposer la bonne thérapeutique. Avec ces nouveaux outils de communication, on soigne plus vite à l’autre bout du monde qu’un malade à proximité, un vrai paradoxe !

Mais sur le Vendée Globe comme sur d’autres courses au large, ce  transfert d’informations est limité à l’assistance médicale. Il est interdit de transmettre des paramètres physiologiques du skipper, qui analysés à terre par des médecins aiderait à sa performance, ce qui s’apparenterait à un véritable routage médical. On pourrait imaginer, par exemple, un spécialiste du sommeil imposant des périodes de sommeil selon l’état de fatigue ou un nutritionniste gérant les apports énergétiques en fonction des efforts produits.

N’empêche. Désormais, il y a, à bord, tous les moyens pour vivre la course en partage avec la terre. Une navigation en solitaire qui n’est plus vraiment en solitude. Y a t-il plus a y gagner qu’à y perdre ?  Là est toute la question… "

 

* Laure Jacolot est médecin urgentiste au CH de Quimper. Elle m’assiste sur cette course

 

Dr Jean-Yves CHAUVE

Avec MACSF, fournisseur santé du Vendée Globe