New York Vendée - Les Sables d'Olonne New York Vendée - Les Sables d'Olonne
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21 January 2021 - 19h00 • 26990 vues

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Toujours tenant du titre, pour encore quelques jours, Armel Le Cléac'h donne son avis sur la performance des pilotes de ce Vendée Globe.

2021/01/21 18:19

L'oeil de l'expert : Armel Le Cléac'h

 

Quelle est votre analyse sur la tête de flotte ? On voit des skippers et des bateaux très différents…

« Ce sont tous des grands marins. Ce qu’ils font et ce qu’ils ont fait depuis le départ, être à la bagarre tout le temps, c’est un exploit. On a vu pendant tout le Vendée Globe qu’il s’est passé beaucoup de choses. Cette édition est particulièrement riche au niveau des pointages, c’était serré au fur et à mesure de l’avancée de la course, et ça l’est plus que jamais ! Ces pilotes ont tous été très performants sur des bateaux un peu différents les uns des autres. Quand on regarde la photo actuelle des 9-10 premiers, il y a des bateaux de différentes génération, grandes ailes, petites ailes et dérives. Cela montre la façon dont chacun a pu utiliser le potentiel de son bateau avec les aléas, les avaries. Il y a eu plusieurs façons de piloter, plusieurs approches. On se retrouve aujourd’hui avec une dernière ligne droite très riche de suspense. Pour nous à terre, c’est super, sur l’eau c’est évidemment plus tendu, le sport prend le dessus sur cette fin de Vendée Globe. »

Peut-on dire que les bateaux d’ancienne génération, comme les IMOCA à dérives, ont été menés proches du 100% de leur potentiel tandis que les foilers ont été pilotés plus prudemment ?

« Oui et non. C’est vrai que les bateaux à dérives d’ancienne génération ont été très bien utilisés, souvent à 100% de leur potentiel avec des marins qui ont montré un potentiel qu’on ne soupçonnait pas au départ. Je pense à Benjamin Dutreux, qui est une des belles surprises de ce Vendée Globe ou à Damien Seguin qui fait une super course. Et bien sûr Jean Le Cam qui fait une course digne de son surnom, le roi Jean. Les bateaux à dérives ont été utilisés au maximum de leur potentiel, chapeau à ces marins ! Car c’était loin d’être gagné. Au départ, tout le monde pensait qu’ils allaient être très loin des bateaux à foils. Le scénario du Vendée Globe a chamboulé ces pronostics. Devant, les bateaux de dernière génération, malheureusement pour leurs skippers, n’ont pas été utilisés comme ils l’auraient souhaité, pour des raisons météo et de sécurité : on a vu qu’ils ont été obligés de ralentir dans des conditions fortes où les bateaux sont trop rapides dans les accélérations et deviennent un peu dangereux. Il y a eu aussi la fiabilité des foils. On voit deux bateaux en route potentiellement pour la victoire, comme Charlie (Dalin) et Thomas (Ruyant), mais handicapés par leurs foils. Ça doit être frustrant pour eux car ils ne peuvent pas faire la différence en ce moment.
Les bateaux à foils d’avant dernière génération que j’ai bien connu en 2016 sont aujourd’hui emmenés par des marins en route pour la victoire. Louis Burton avec mon bateau et Boris Herrmann qui a fait une course un peu cachée, toujours bien placé mais jamais devant. Il sort au bon moment, il montre le bout de son nez maintenant. Il va chercher la victoire ! »

Quand on regarde, les statistiques, les foilers ont fait plus de milles… Comment l’expliquer ?

« Les potentiels des bateaux sont différents à certaines allures. Les bateaux à foils ont la capacité à accélérer à des angles de vent intéressant et quand il y a peu de vent. Ils peuvent faire plus de route et contourner des phénomènes météo. C’est une réalité d’avoir des bateaux qui ne font pas la même route d’une génération à l’autre. Cette année, on n’a pas eu l’occasion de voir les foilers s’échapper et avoir une transition avantageuse pour eux. Ça aurait pu être possible à l’entrée des mers du Sud, mais il y a eu le naufrage de Kevin Escoffier et des avaries par la suite. Ça aurait pu être différent en ce moment à quelques jours de l’arrivée. »

Peut-on dire que la météo a été moins favorable qu’en 2016 ?

« Si on regarde la météo cette année par rapport aux trois dernières éditions, c’est l’enchaînement des phénomènes qui a été compliqué. Ça n’est jamais parti par devant, et ça a dû être frustrant pour certains qui parfois donnaient un coup d’accélérateur, comme l’on fait Yannick Bestaven et Charlie Dalin. Ils n’ont jamais été récompensés. Mais cela fait partie du jeu. J’avais vécu cela sur la remontée de l’Atlantique en 2016. J’avais 800 milles d’avance au cap Horn, et moins de 100 à quelques jours de l’arrivée. Yannick en avait plus de 400 ! Cela fait partie du jeu, que ce soit sur un Vendée Globe, une transat, une Solitaire. Cette année, la météo en elle-même n’a pas été si difficile que ça, c’est une histoire d’enchaînement des systèmes qui n’a pas été facile, et mentalement ça devait être dur à gérer de voir les petits camarades revenir à chaque fois. »

Est-ce qu’on culpabilise, est-ce que parfois on se dit qu’on a loupé le coche ?

« Il y a forcément un moment de déception, mais avec des « si », on peut refaire tous les scénarios possibles. La réalité prend le dessus, il faut faire avec, il faut accepter. La course reprend même si on n’a plus que 20 milles d’avance. Yannick a sans doute eu ces moments de doutes et de frustration mais il est reparti à l’attaque et il a encore de grandes chances de jouer le podium voire mieux ! Tous les marins font des erreurs, celui qui gagnera le Vendée Globe sera celui qui en aura fait le moins. C’est un sport d’expérience, car la météo n’est jamais une science exacte. Il reste toujours une part d’aléatoire et de feeling, et c’est tant mieux ! Aujourd’hui, personne n’arrive à dire qui va gagner le Vendée Globe, c’est ce qui fait la beauté de cette course. »

Il faut quand même être un acharné non ?

« Il faut être acharné pour aller jouer le haut du classement, cela demande un mental très fort. La course est longue, il faut tenir malgré les coups qu’on prend, il faut tenir, avancer, et certains développent des capacités qu’on n’imaginait pas. Louis Burton en fait partie : il a été extraordinaire depuis qu’il a réparé. Il a pris sa chance, il est un des marins de ce Vendée Globe qui a allumé l’étincelle. Ça fait bouger, cela fera partie des éléments à prendre en compte pour aller chercher la victoire. Il a pris la bonne méthode. Et d’autres ont réagi suite à sa combativité. C’est ce qui va être fou jusqu’à mercredi prochain. »

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