New York Vendée - Les Sables d'Olonne New York Vendée - Les Sables d'Olonne
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24 January 2021 - 19h51 • 14011 vues

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Semaine10#. Les derniers jours avant le golfe de Gascogne et l’arrivée aux Sables d’Olonne après 80 jours de mer, vont être particulièrement suivis, mais qui devrait plus aisément sortir de cet imbroglio dépressionnaire ? Au Sud-Est, Charlie Dalin a empanné et navigue désormais sur son foil tribord vaillant, à l’Ouest Yannick Bestaven a contourné l’archipel des Açores par le large, au centre Boris Herrmann suit le nouveau leader Louis Burton, et Thomas Ruyant allonge la foulée dans son Sud-Ouest…

La mer est une onde, une vibration, un frémissement, une trépidation, une oscillation, un tremblement… Comme une musique, elle a ses codes, ses signes, ses rythmes, ses couleurs, ses formes. De la ballade à la rhapsodie, de la sérénade à la symphonie, de l’impromptu à la suite, de la cantate à la toccata ! Brutale, mezzo, enlevée, pianissimo, forte, piccolo : la mer, comme une composition, décline ses tempos et avant de l’interpréter, impose de faire ses gammes, de cent fois sur le piano enchaîner les mêmes notes, d’éviter les couacs et de ne pas se perdre dans la partition…

Les gens d’en mer savent qu’il ne faut pas se désaccorder quand l’océan prend du coffre, quand de son souffle de stentor, il mène une danse wagnérienne aux flots enchevêtrés. A cette école du rythme, cinq solitaires ont pu exprimer toute la richesse de leurs jeux de mains et de marins, après plus d’un demi-siècle d’interprétations et de compositions autour du monde, en orchestre d’équipiers (1973) ou en soliste affirmé (1968). Il leur faut maintenant entamer le finale, pour définir qui est le virtuose…

Cinq garçons dans le vent

Le solfège, Charlie Dalin (Apivia) l’a appris non pas au lycée qu’il pratiqua parfois en bémol mais à l’école d’architecture de Southampton. Déjà il pianotait sur son clavier d’ordinateur, déjà il révisait ses gammes de manager de projet, mais aussi lors des entraînements, l’hiver, où il pointait ses bonnes notes, accordait ses réglages et prenait la baguette pour diriger ses équipages. S’il n’a ni le costume du gestionnaire, ni la carrure d’un rugbyman, Charlie Dalin a l’étoffe d’un héraut du solo. Patient, posé, réfléchi, curieux, polyvalent, cet animal à sang froid mais au cœur chaud, n’a pas l’habitude d’être expansif, extroverti, volubile. Pas le style rock & roll, plutôt du genre musique de chambre, mezza-voce… tout en allant loin sans ménager sa monture ! Bref, un marin discret, talentueux, déterminé, pluridisciplinaire, lucide, serein et attentionné.

Et si cela fait maintenant plus de deux cent fois qu’il mène le train depuis le départ, le solitaire a tout de même dû passer la main pour que le Malouin Louis Burton (Bureau Vallée 2) revienne d’abord par l’extérieur de l’anticyclone lors de la longue remontée des alizés de l’hémisphère Nord, puis en naviguant plus proche de l’archipel des Açores pour recroiser sa route au large de São Miguel. Il n’en est pas moins sous la pression de ses poursuivants, poursuivants qui « s’effilochent » au jour le jour puisque de neuf, les prétendants au podium ont progressivement lâcher la rame, n’étant plus que sept dans le virage des Canaries, puis cinq à la station Açores. Bref la « locomotive » n’a plus qu’un tender (Boris Herrmann) et deux wagons (Charlie Dalin et Thomas Ruyant) accrochés à ses basques, auquel il faut ajouter Yannick Bestaven optant pour le large dès samedi soir…

Mais au fil des milles, les marins fatigués et les machines entamées n’ont plus le même potentiel : certes il va falloir creuser l’écart sur ces derniers jours de course, alors qu’il reste encore un millier de milles à avaler, d’abord au large des Açores dans un flux de Sud-Ouest d’une vingtaine de nœuds, puis devant l’Espagne dans un souffle d’Ouest d’une quinzaine de nœuds en début de semaine, et de nouveau dans une coulée de Sud-Ouest modéré butant sur une masse nuageuse avant la Vendée mercredi… Les routages divers et variés, les modèles météo européens et américains n’arrivent toutefois pas à déterminer réellement quelle route les leaders vont suivre et qui sera le premier à apercevoir la bouée Nouch Sud !

Ce qui semble certain, c’est qu’il faudra deux à cinq empannages avant de voir la Vendée et que les arrivées s’annoncent en rafale, ce qui ne simplifie pas la donne puisque Boris Herrmann (SeaExplorer-Yacht Club de Monaco) et Yannick Bestaven (Maître CoQ IV) disposent d’une bonification pour la participation au sauvetage de Kevin Escoffier. Quant aux suivants, même si l’arrivée d’une belle dépression est programmée pour mercredi midi au large du golfe de Gascogne avec un beau flux de Sud-Ouest jusqu’à 30 nœuds, ils ne devraient pas revenir dans le match suffisamment pour inquiéter les leaders : Jean Le Cam (Yes We Cam!) ne pourrait donc pas monter sur le podium final si tout se déroule comme annoncé, même avec 16h15 de bonification…  

Dans quel état sont les montures ?

Mais la donnée qui fait défaut sur ce rush final, c’est bien l’état des monocoques, non seulement structurellement (foils, gréement, cordages, systèmes…) mais aussi au niveau des voiles dont disposent les skippers. Et aussi quel est l’état de fatigue des solitaires qui vont se présenter devant le golfe de Gascogne ? Il ne s’agit pas seulement de lucidité, mais aussi de réactivité, de capacité à manœuvrer vite et bien… Tous n’ont pas connu la tension des derniers milles d’une Solitaire du Figaro, mais tous savent gérer ce sprint qui demande d’extraire les dernières parts d’énergie qui se nichent au plus profond des corps.

Il faut aussi s’attendre à ce que les skippers se voient, au moins à l’AIS (système de positionnement par radio VHF), ce qui définit une portée de dix milles environ. Et dans ce cas, la multiplication des données fournies permettra aux navigateurs de mieux appréhender le comportement de leur concurrent… On sait Burton déterminé, on sait Dalin percutant, on sait Ruyant incisif, on sait Herrmann observateur, on sait Bestaven rageur : il ne faut donc pas imaginer que l’un ou l’autre lâche le morceau, surtout que non seulement la victoire se joue dans ces derniers milles, mais aussi les places sur le podium ! Il n’y aura aucun relâchement jusqu’aux Sables d’Olonne…