New York Vendée - Les Sables d'Olonne New York Vendée - Les Sables d'Olonne
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12 Février 2021 - 19h26 • 19095 vues

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Arrivé jeudi soir aux Sables d'Olonne, Stéphane Le Diraison livre ses premiers mots lors de sa conférence de presse après une arrivée quelque peu perturbée par une voie d'eau au niveau de son arbre d'hélice. 

À propos de son arrivée en semi rigide au ponton de Port Olona

"J'aime bien me faire remarquer (il rigole) ! Je l’ai sorti de l’eau au port de commerce et je suis arrivé en semi rigide. Le bateau a passé la nuit au mouillage, il y avait beaucoup de houle. C’est un truc bête, quand on a démonté les systèmes d’inverseur de moteur, il fallait faire “arrière” et on a fait “avant”, on a tiré sur le mauvais bout et il s’est pris dans l'hélice. Puis une vague a arraché le support de la chaise moteur. J’ai entendu un “crac”, il y avait un trou dans la coque. On a pompé, puis on a sorti le bateau de l’eau. C’est frustrant, mais ce n’est pas grave. On aurait pu noyer le moteur ou les systèmes électriques à bord.

 

La course de tous les superlatifs 

Le mot qui me vient est intensité. C’est fort, cette course est l’épreuve de tous les superlatifs. Je suis monté parfois très haut et parfois, j’ai dû faire appel à ma préparation mentale pour me remotiver. C’est fidèle à ce que je venais chercher : le défi, le dépassement de soi. Je me suis surpris à avoir une force physique et mentale que je ne pensais pas. C’est vraiment particulier, c’est propre au solitaire et au tour du monde. C’est tellement long, tellement exigeant. Il faut toujours trouver des ressources, c'est passionnant. Il faut trouver les bonnes stratégies pour y faire face. Et puis en arrivant, on retrouve tout le monde, on partage de belles émotions, c'est très fort. L'absence de transition est particulière. On est dans une sorte de dimension parallèle pendant 95 jours, dans une grande boîte en carbone. On coupe la ligne et cette boîte se remplit avec des amis, des caméras, c’est très particulier à vivre. C’est beaucoup d'émotions à gérer. C'est à l'image du Vendée Globe, les montagnes russes !

La navigation dans l’océan Indien est altérée par la zone des glaces. Quand on voit jusqu'où remonte la limite des glaces, ça souligne un petit problème de réchauffement climatique. L'océan Indien n’était pas du tout conforme à ce que l’on imagine ni à ce que j’ai connu en 2016. Dans le Pacifique, la zone des glaces est plus Sud, ça ouvre le jeu. On rêve de la grande houle et des longs surfs, mais au risque de briser un mythe, mes plus beaux surfs je les ai fait en revenant de Québec en Atlantique Nord. Dans le grand Sud, ce que j’ai vu, c’est une mer formée et très hachée, plutôt courte. Je me suis retrouvé à affronter des systèmes dépressionnaires extrêmement puissants. Mon bateau n'était pas assez rapide pour m'échapper. Sur les fichiers, j’avais des vagues de 8 mètres, c’est la moyenne, donc quand c’est comme ça, on rencontre des vagues de 10 mètres. Comme la période était très courte, elles se cambraient et elles déferlaient. On était bien loin des surfs, on pensait plutôt à ralentir. Et ce qui m’a fasciné c'était la couleur de la mer. Elle était blanche tellement elle était écumeuse. Elle était puissante et dangereuse. C’est une belle épreuve, je suis content d’avoir surmonté ça. 

 

Le cap Horn

C’était un moment fort pour plein de raisons. C’est commun à tous les marins, il fait rêver ce cap, il accompagne les récits des plus grands. Il y a un vrai imaginaire autour du cap Horn. Il y a un côté extrêmement excitant de rentrer dans ce rêve. Et puis il y a un autre aspect, c’est qu’au bout de 40 jours dans le Sud, on se dit qu’il serait bien de retrouver de la chaleur et une mer moins formée. Ce passage a été exacerbé par ce que j’ai vécu dans le Pacifique. Je repoussais mes limites un peu plus chaque jour. J’ai eu des périodes avec 60 nœuds établis et des averses de neige. Le vent hurlait dans les haubans, j’étais avec mon tourmentin, le bateau était couché. C’était éprouvant. 

 

Prépa mentale 

Je dois beaucoup à ma prépa mentale. Malheureusement parfois je devais quand même raconter mes malheurs à mon équipe. Je n’étais pas toujours positif, je faisais aussi sortir mes émotions négatives, ça me permettait d'avancer. Mais la prépa mentale est fondamentale pour réussir à faire ce tour du monde, pour prendre du plaisir. J’attendais aussi cette dimension liée au développement personnel. C’est un défi mais c’est aussi une chance. Quand ça n'allait pas, je me demandais combien de personnes avaient la chance de vivre leur rêve et de faire un tour du monde ! 

 

Le bateau

Mon bateau est de 2008, c’est un bon bateau, il est solide. Je l’ai fait évoluer en lui mettant des foils, en changeant de safran, une partie du pont, le cockpit. Ce que je ne pouvais pas deviner au moment de lancer ces chantiers, c’est qu’avec la Covid 19 tout allait prendre du retard. C’était un challenge à relever, on a réussi grâce à toute l’équipe, je les remercie. Mais ça a forcément joué, car tout n’était pas fiabilisé. Il y a beaucoup de petites choses qui auraient pu être corrigées. 

Au tout début de la course je partais avec Jean (Le Cam) et Damien (Seguin) dans le premier front et là j’ai rempli la soute à voile d’eau. J’ai dû ralentir pour pomper pendant deux heures. La nuit suivante, j’ai eu un problème de cales de foils. Et puis le réservoir de gasoil mal fixé s’est déversé dans le bateau. J’ai donc été privé d’emblée de cette bagarre.

L’eau a été un vrai problème, je ne sais pas combien d’eau j’ai évacué dans l’ensemble de la course, mais à un moment, il y avait  4 à 5 000 litres d’eau dans le bateau. J’ai ouvert la cloison étanche en pleine nuit, j’étais à la frontale, c’était vraiment une vision d’horreur de voir les pare-battages flotter. Dans un monde parfait, tous mes petits soucis auraient été réglés avant le départ.

 

Le chemin parcouru

Je mesure toutes les étapes par lesquelles je suis passé pour en arriver là. C’est important de ne pas oublier tout le chemin parcouru. Il faut toujours recontextualiser quand tu as des soucis. La Mini Transat c’est un labo, c’est un peu tous les paramètres d’un Vendée Globe à une toute petite échelle. Je suis content de mon parcours, je suis monté graduellement. J’ai eu besoin d’avancer étape par étape.

 

Les liens avec les concurrents et compagnons de route

En 2016, je n’ai pas ressenti la même chose. Peut être parce que cette année la situation était particulière et aussi grâce aux moyens numériques qui ont évolué. Des liens extrêmement forts se sont créés entre les marins, il y a eu beaucoup d’échanges.

Quand on s’est retrouvé bord à bord avec Jérémie (Beyou) on a eu des échanges vraiment super chouette. C'était bienveillant, il m’a donné beaucoup de conseils, c’était très riche. Et c’est vrai avec tous les skippers. Avec Alan (Roura) et Cali (Arnaud Boissières) on avait aussi un groupe Whatsapp à tous les 3. C’était une édition éprouvante, ce n’est pas pour rien que les vainqueurs ont mis 80 jours. Ça ne s’est pas passé comme prévu pour personne. On a été beaucoup éprouvés et je pense que ça renforce les liens. Sur le ponton avec Kojiro (Shiraishi) et Pip (Hare), les regards en disaient long, on n'avait pas besoin de parler beaucoup. 

 

La suite

C'est dur de répondre comme ça. J’ai envie de continuer la course et de porter ce message Time for Oceans. Je voudrais faire la démonstration que l’on peut faire un bateau simple, moins cher et plus respectueux de l’environnement. J’ai l’impression que dans les futurs projets, la contrainte environnementale n’est pas prise en compte, ça me choque. C’est comme si nous n’étions pas concernés. Je voudrais démontrer que l’on peut faire autrement. J’ai pris beaucoup de notes sur ce Vendée Globe. Je serais vraiment heureux de pouvoir concevoir un bateau qui me ressemble et qui ressemble à ma façon de naviguer.
 

La chanson d’arrivée

Mes enfants sont scolarisés dans une école de Boulogne-Billancourt. La maîtresse insistait pour savoir si je venais à la fête de l'école et l’école m’a fait une surprise : il y avait 60 enfants, ils ont chanté cette chanson. Ils ont fait appel à un compositeur, c’est le département qui a financé l’opération. J’étais hyper touché, c’était incroyable. Les paroles sont super, la mélodie est chouette. Quelques mois plus tard, on s’est retrouvés dans une belle salle de spectacle pour enregistrer avec les enfants. On a créé un site internet Time for Oceans qui est aujourd’hui utilisé par les instituteurs pour leurs classes. C’est une grande fierté de voir que modestement on contribue à la prise de conscience des enfants.

 

Stéphane Le Diraison / Time For Oceans