New York Vendée - Les Sables d'Olonne New York Vendée - Les Sables d'Olonne
New York Vendée - Les Sables d'Olonne New York Vendée - Les Sables d'Olonne

25 Février 2021 - 18h41 • 18376 vues

Partager

Article

Quand la veille sur les trajectoires et la sécurité se transforme en une relation étroite et intime avec les marins du Vendée Globe… Jacques Caraës, Directeur de Course du Vendée Globe, évoque cette autre facette du travail de son équipe.

Quel type de relation avez-vous entretenu avec les marins en dehors de la sécurité pure et dure ?

Jacques Caraës : « En dehors de la partie sécurité et du suivi permanent, on essaye d’établir un lien privilégié et constant avec eux. L’utilisation de la messagerie instantanée Whatsapp a permis des échanges spontanés par écrit ou messages vocaux. A force, on a presque l’impression d'être sur leur bateau, c’est assez extraordinaire. On est là tout le temps, si ce n’est pas moi qui répond, ce peut-être Claire (Renou) ou Hubert (Lemonnier) ou Pierre (Hays). Les marins savent que le bureau de la Direction de Course est constamment ouvert, ils peuvent nous joindre à tout moment. Cette proximité-là, 24h/24h, c’est un vrai plus pour eux, je crois.

Mais on n’utilise pas cette possibilité de communiquer n’importe comment. On essaye de le faire avec beaucoup de respect. On les laisse plutôt venir à nous. Et si le dialogue s’installe, on envoie le petit mot du matin ou de la nuit. Je l’ai même fait avec Kojiro. Ce n’était pas facile de dialoguer avec lui à cause de la barrière de la langue, mais grâce à la traduction instantanée, j’ai réussi à écrire des messages en japonais (rires) !  Et puis quand les moments sont durs, que la météo sur leur zone est difficile, on essaye de montrer qu’on est là, présents. On est dans ce respect, cette connivence…

Ces communications, il faut les faire à bon escient et ne pas les envahir. On est juste là en arrière plan. Comme un esprit à côté d’eux. On sait quand c’est dur, on connait la météo, leurs contraintes, ce qu’ils vivent, l'état de la mer, du vent, le froid… Le fait d’avoir navigué dans ces coins-là me permet de me rendre compte de ce qu’ils vivent. Même si on ne sait pas tout parce qu’ils ne sont pas obligés de tout nous dire !
Mais on ressent leurs difficultés. On est comme un petit fantôme qui veille au-dessus de leur bateau. A nous quatre, mes trois adjoints et moi-même, nous sommes dans cette même démarche et nous tenons ce rôle avec beaucoup de passion".

Certaines péripéties de la course n’étaient connues que par vous, la Direction de Course…

Parfois, il y a des choses que les marins souhaitent garder confidentielles. Lorsqu’il y a des soucis techniques, des avaries de voile. C’est une compétition et ils ne veulent pas donner de prise à leurs rivaux. Alors comme on dit, certaines choses “restent dans les filières”. S’ils nous font part d’un problème, on leur demande s’ils veulent le rendre public. C’est important pour avoir leur confiance. Il y a des choses qui ne sortent pas de notre bureau et ils le savent".
 

Un exemple ?

"Ça a été le cas avec Jean Le Cam lorsqu’il a eu son problème de structure après les Kerguelen. Je l’ai su rapidement. Pour des questions de sécurité c’était très important que nous soyons au courant. On avait travaillé sur des possibilités d’arrêt au cap Horn, à Puerto Williams au Chili. Nous étions allés assez loin dans l’investigation pour préparer cet arrêt technique. Mais Jean a jugé qu’il avait la capacité de réparer et de continuer. On est devenus des confidents, plus qu’une Direction de Course".

Y a t-il eu d’autres cas que vous n’avez pas communiqué sur le moment ?

"Oui, nous avons un « Whatsapp technique ». Nous sommes aussi dans la confidence des équipes techniques. Parfois, les infos passent par les teams managers. Pour HUGO BOSS, ça a été le cas. Je ne sais pas quand Alex a cassé, peut-être après le passage de la dépression Thêta,  mais il s’est ensuite rendu compte que les dégâts étaient importants. De mon côté, j’ai reçu tout de suite les premières photos de la part de son équipe, les premières investigations pour la réparation, les plans, les marquages faits au feutre blanc par Alex pour identifier les fractures sur la structure. On recevait toutes les informations, il ne cachait rien. C’était une forte preuve de confiance car on savait qu’il ne souhaitait pas diffuser ces infos avant d’avoir réparé et trouvé une solution. On voyait bien qu’un travail important se mettait en place. Et puis à la fin, c’est Alex, avec ses yeux humides, qui annonce lui-même qu’il abandonne et qui décrit l’ampleur de sa déception. C’était un moment hyper fort."

Y a t-il des choses que l’on ne saura jamais ?

"Oui et non. En réalité, je sais beaucoup de choses via les teams managers. Parfois, ils nous font part des difficultés de leur skipper. J’ai eu quelques échanges avec Ronan Lucas. Clarisse est une jeune navigatrice qui fait son premier Vendée Globe sur un bateau exigeant… Quand je constate que la trajectoire ou la vitesse du bateau ne sont pas top et que je pose la question à Ronan, il ne me cache rien, il me dit que ce n’est pas simple pour elle. Mais tout cela est très intime. Le lien entre le team manager et le skipper est très important. Il va peut-être partager des infos avec moi parce que je suis au centre d’un dispositif de quatre personnes, mais je peux choisir de ne pas le partager avec ma propre équipe !"

Ni même avec le reste de l’orga…

« Oui. Parfois, on reste sur cette réserve. On ne dit pas tout, même en interne. »

Et puis il y a les arrivées. On sent qu’un lien fort vous unit avec les marins à ce moment-là…

Les arrivées, pour eux, c’est un choc tellement fort ! Ils arrivent seuls au milieu de tout ce public…  On n'ose pas trop aller les voir, les embrasser. On est plutôt en retrait à ce moment-là. Et puis cette année il y a un protocole ponton, c’est particulier. C’est plutôt un jour ou deux après, quand ils passent nous voir dans notre bureau, qu’ils viennent parfois déjeuner ou dîner. A ce moment-là, on refait le match. C’est un moment d’échanges. On se remémore des situations, les langues se délient, ils reviennent sur des anecdotes. Ils ont besoin de raconter leur histoire, les difficultés qu’ils ont connues, des choses qu’ils n’ont pas révélées instantanément.

Le tableau de bord de la DC, finalement, c’est le véritable roman de la course…

"Oui ! Nous avons une “main courante” informatique que l’on partage avec l’ensemble des adjoints de la Direction de Course. Heure par heure, tout y est écrit, consigné. C’est notre journal secret en fait ! Celui qui prend son quart à la DC a tout l’historique des quarts précédents. Parfois, on a un marin qui se trouve en haut de son mât pendant la fin d’un de nos quarts et qui redescend lors du quart suivant. Ce lien, ce fil tendu entre nous et eux, c’est assez magique. Au final, ce sont ces relations qui rendent notre travail passionnant".

 

La rédaction du Vendée Globe / Propos recueillis par C.El