New York Vendée - Les Sables d'Olonne New York Vendée - Les Sables d'Olonne
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27 Février 2021 - 14h13 • 15888 vues

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Le médecin officiel du Vendée Globe revient sur les petits et gros bobos de cette édition et sur son rôle auprès des coureurs.

Peux-tu nous expliquer le protocole qui a été mis en place avec Alexia Barrier pour ses problèmes de dos ?

"Dès qu’Alexia aura franchi la ligne d’arrivée demain, je vais monter à bord. Je vais faire un premier bilan de son état et puis préparer son protocole d’arrivée, sa descente au ponton, sa conférence de presse. On va essayer de garder ce protocole tel qu’il est prévu initialement mais cela dépendra de ce que je découvrirai en l’examinant. Je suis assez confiant sur le fait que son arrivée se passe dans de bonnes conditions. Depuis hier, elle a beaucoup diminué son traitement, ça va mieux." 

Une fois le protocole arrivée terminé, que va-t-il se passer pour elle ?

"Dès que son protocole d’arrivée sera terminé - sauf si vraiment elle a très mal auquel cas on fera les choses différemment - il faudra faire des radios. Cela permettra de voir si ce que l’on suspecte est bien réel. De toute façon, pour ce genre de douleur il n’y a pas de traitement particulier, elle ne va pas être opérée ni hospitalisée." 

Peux-tu nous rappeler ce qui est arrivé à Alexia ?

"Alexia est tombée en arrière. Ce qui s’est produit est probablement un peu similaire à ce qui se produit lorsque l’on a une fracture de côte, comme c’est arrivé à Romain (Attanasio) ou à Sam (Davies). Pour ceux qui l’ont vécu, c’est quelque chose de très douloureux, surtout quand on est obligé de bouger, de faire des manœuvres sur un bateau. Si ça touche le bas de la colonne vertébrale, c’est encore plus douloureux mais cela n’a pas d’incidence particulière sur la suite. Simplement, cela peut mettre du temps à se consolider et c’est d’autant plus long lorsque l’on n’est pas immobilisé. Si la fracture - comme on le suppose - existe, cela va mettre du temps et la douleur restera pendant toute cette période de consolidation. La douleur est un signe d’alerte, c’est l’organisme qui dit “attention, là je suis en souffrance, il faut me protéger." 

Quelle relation as-tu avec les skippers ?

"Je suis tenu à la confidentialité. Il y a des choses qui se passent sur la course qui restent entre le médecin et le patient. Je me tiens au secret médical jusqu’à ce que le patient, en l’occurrence le coureur, considère qu’il peut en parler dans les médias. Ça se fait en direct, même si souvent, si la vie du skipper peut être en danger ou simplement si sa trajectoire peut être impactée, si le bateau ralenti anormalement, ça peut poser question à la direction de course : dans ce cas, je les avertis en donnant mes explications mais sans entrer dans le détail. Cela reste confidentiel." 

Comment se passe la téléconsultation ?

"Souvent, la téléconsultation se passe en direct, mais je préfère l’écrit. Les paroles passent et les écrits restent. Quand c’est pour une prescription médicale, je fais systématiquement un écrit où j’explique exactement le traitement à prendre, la durée, les quantités. S'il y a des gestes de soin à faire, je les explique de façon très précise. Quand on est au téléphone, surtout sur un bateau, on peut être distrait à un moment où un autre. Le fait de l’écrire permet de le relire si besoin et d’éviter des mauvaises interprétations ou des oublis. Je peux aussi recevoir des photos ou des vidéos, c’est utile évidemment pour toute blessure visible, voire peut-être même pour une fracture sur un membre s’il y a une déformation." 

Que s’est-il passé d’un point de vue médical sur cette édition ?

"Il y a eu des choses assez étonnantes ! C’est la première fois que je voyais ça : Pip Hare a eu des méduses sur le pont, des méduses que l’on appelle des physalies, parfois aussi appelées Galères portugaises. On les voit sous les tropiques, c’est une sorte de méduse avec de très longues tentacules urticantes, avec du poison. Le bateau passant dans les vagues, plusieurs de ces Galères portugaises se sont retrouvées sur le pont. Ce qui est incroyable c’est que leur poison reste actif pendant deux mois après leur mort. Pip s’est allongée sur le pont pour se reposer et elle a touché les tentacules, le poison est donc venu se répandre sur sa peau. Elle a fait une réaction allergique au niveau du cou. Avant de comprendre que l'allergie était liée à une méduse montée sur le pont, l’enquête a été un peu longue ! Ça fait partie des choses parfois un peu originales. 

Avec le réchauffement climatique, il y a un développement de plancton toxique. Un skipper a eu une toux persistante pendant la course, on suspecte que cela soit dû à ce plancton qu’il respirait dans les embruns. Ça met en lumière le fait que la mer est un milieu vivant, qu’il y a d’autres êtres qui vivent là et qu'ils n’ont pas toujours des intentions très pacifiques ! Il faut aussi s’y adapter, c’est assez intéressant."

Est-ce que ton rôle peut parfois dépasser l’aspect purement médical ? 

"Aujourd’hui les skippers ont pas mal de contacts avec l'extérieur, il y a plus d’intervenants. Le skipper a beaucoup l’occasion de parler, il peut aussi être en contact avec son préparateur mental. Je connais tous les marins, avec le temps, mais je ne suis pas un proche. Par contre, je peux avoir des échanges avec les familles, le compagnon, la compagne, le team manager, ils peuvent m’interroger pour avoir un avis un peu différent, un regard extérieur. 

Quand il y a un souci médical, je demande au skipper si je dois en parler, est-ce qu’il y a quelqu’un à prévenir, à qui expliquer les choses, à rassurer. Il y a une sorte de dialogue et de collaboration qui s’installe avec l’entourage.

Dans le règlement de course, il y a une clause qui dit que face à un problème médical, le skipper a le droit de contacter qui il veut. La seule règle est que le médecin contacté doit me prévenir du diagnostic et du traitement mis en place. Quand on n’a pas une expérience de marin et que l’on ne navigue pas, les prescriptions peuvent être parfois un peu décalées par rapport à ce que vivent les skippers. C’est dans ce sens que c’est important qu’ils me contactent parce que j’ai ce double regard. Ça me permet d’évaluer les effets négatifs qu’un traitement peut avoir sur un skipper. Quelqu’un de fatigué, en manque de sommeil, si l’on ajoute un traitement qui va donner de la somnolence, ça peut le mettre en danger. Et puis je connais aussi toutes les formations médicales qu’ils ont suivies au préalable.

Et puis évidemment, s’il y a besoin de faire intervenir des secours extérieurs, la seule personne qui doit alerter les secours, c’est le médecin officiel de la course."

 

La rédaction du Vendée Globe / Propos recueillis par A.Go