Le troisième Vendée Globe est remporté de main de maître par Christophe Auguin. C’est hélas aussi celui de la disparition en mer de Gerry Roufs et de sauvetages invraisemblables, comme ceux de Raphaël Dinelli par Pete Gosse, ou encore de Thierry Dubois et Tony Bullimore par la Marine Australienne.
Quinze concurrents sont en lice sur ce troisième Vendée Globe, mais ils sont en réalité seize à partir avec Raphaël Dinelli qui s’élance « en pirate » , parce qu’il n’a pas obtenu sa qualification dans le timing imposé. Seize aventuriers donc, dont deux femmes : Catherine Chabaud et Isabelle Autissier. Côté favoris, on cite le Granvillais Christophe Auguin, déjà vainqueur de deux BOC Challenge, le Canadien Gerry Roufs ou encore l’Aquitain Yves Parlier, dont le monocoque futuriste est doté d’un mât-aile et d’un gréement type thonier avec de grands espars latéraux (les outriggers d’aujourd’hui). Marc Thiercelin et Bertrand de Broc sont là aussi, tout comme Hervé Laurent, Thierry Dubois, Eric Dumont etc.
Le dimanche 3 novembre 1996, c’est la foule sur les quais des Sables d’Olonne. Mais très vite le golfe de Gascogne donne un autre ton. Il cogne. L’Anglais Tony Bullimore, le Hongrois Nandor Fa et le Français Thierry Dubois reviennent aux Sables d’Olonne pour réparer différentes avaries. Ils repartent mais un peu plus tard, la course est déjà terminée pour le Basque Didier Munduteguy dont le bateau démâte et pour Nandor Fa, en délicatesse avec sa quille et qui doit se résigner après avoir évité de justesse une collision avec un cargo ! Pendant ce temps, Yves Parlier double les Canaries en leader, cinq heures devant Isabelle Autissier. Christophe Auguin en garde sous le pied. Il déclare : « être en tête tout de suite ne m’intéresse pas. J’attends mon heure pour libérer toute la puissance ». Il n’attendra pas si longtemps, dans une descente de l’Atlantique très rapide. Le 20 novembre, l’étai du bateau d’Yves Parlier se brise. Yves répare mais sait déjà que ce sera difficile de tenir le rythme. Dès l’entrée dans l’océan Indien, Christophe Auguin prend les commandes, poursuivi par Isabelle Autissier, Gerry Roufs et Yves Parlier. Ces quatre marins ont fait le break. Mais la course par élimination est impitoyable : le 1er décembre, Isabelle Autissier perd le safran tribord, probablement suite à un choc avec un OFNI ou un growler. Le lendemain, même motif et même punition pour Yves Parlier… puis pour Thierry Dubois ! Ils repartiront tous après réparation (qui en Australie, qui en Afrique du Sud) mais pour l’honneur. Hors course, puisqu’ayant reçu assistance.
Dinelli, Dubois et Bullimore sauvés…
Le Grand Sud est déchaîné et malmène les rescapés. Le jour de Noël, Raphaël Dinelli envoie ce message : « Vent de 60 nœuds avec rafales terribles à 70. Deux chavirages, beaucoup de dégâts à l’intérieur du bateau. Tout en vrac complet sur le pont. A sec de toile, j’avance à 18 nœuds dans les surfs et le bateau se couche encore ! » Philippe Jeantot demande alors à Pete Goss, qui navigue en 50 pieds, de se dérouter dans des conditions apocalyptiques. Car un avion de la Marine Australienne a pris une photo effrayante : debout sur sa coque retournée, cramponné à un cordage avec l’énergie du désespoir, on y voit un Raphaël Dinelli en perdition, assailli par les déferlantes. Pendant 20 heures, Raphaël attend un miracle… et Pete Gosse, ce jour-là devient un formidable héros : au près, contre une mer hallucinante, il parvient à atteindre l’épave et sauve in extremis la vie du Français qu’il embarque avec ces mots : « Raphaël est un marin exceptionnel qui a gardé la tête froide. Il était près de la mort à plusieurs reprises (…) Il s’est forgé sa propre chance. Je me sens privilégié de l’avoir à mon bord. » Christophe Auguin caracole alors en tête, avec plus d’un millier de milles d’avance sur Gerry Roufs. Hélas, on n’en a pas fini avec la peur.
Gerry Roufs ne répond plus
Au soixante-quatrième jour, deux balises de détresse sont déclenchées : celle de Tony Bullimore et celle de Thierry Dubois. Un avion australien repère d’abord Dubois, assis sur sa coque retournée. Il parvient à rejoindre un radeau de survie largué par ses sauveteurs et est hélitreuillé. Bullimore en revanche ne donne pas signe de vie. Il faudra attendre que ses sauveteurs viennent cogner sur la coque pour voir le Britannique émerger de l’eau glacée et être sauvé à son tour.
Mais à peine est-on rassuré pour ces trois-là qu’une autre sourde angoisse concerne celui qui est alors classé deuxième. Elle tient en cinq mots implacables : Gerry Roufs ne répond plus. Le 7 janvier, la balise de son bateau, Groupe LG 2, cesse d’émettre. La veille, lors d’une conversation avec Isabelle Autissier, le Canadien a expliqué se trouver dans une tempête dantesque « avec des vagues qui n’en sont plus, qui sont hautes comme les Alpes » (les modélisations montrent que certaines faisaient plus de 20 mètres de haut). Dans cette zone hors de portée des secours, Isabelle Autissier se met en recherche, tout comme Marc Thiercelin, Eric Dumont et Bertrand de Broc. Tous les quatre vont méthodiquement quadriller une immense zone du Pacifique, mais leurs recherches resteront vaines et il faudra se résigner : Gerry Roufs a disparu. Fin aout 1998, on retrouvera des morceaux de l’épave de Groupe LG2 échoués sur l’île d’Atalaya, au sud du Chili.
Au moment du début de ce drame, Christophe Auguin avait l’équivalent de presque une semaine de mer d’avance. Malgré une remontée des deux Atlantique pas simple, il coupe la ligne d’arrivée le 17 février 1997, après 105 jours, 20 heures, 31 minutes et 23 secondes de mer. Derrière lui, Marc Thiercelin et Hervé Laurent bataillent ferme pour la deuxième place, alors que Bertrand de Broc s’est arrête à Ushuaïa pour réparer et est reparti hors course : il perdra finalement la quille et chavirera à 300 milles de l’arrivée ! En temps réel, Hervé Laurent arrive devant Marc Thiercelin, sept jours après Auguin, mais il sait que Marc bénéficie d’une compensation en temps suite à la recherche de Gerry Roufs. Hervé Laurent coupe alors la ligne très discrètement puis repart en mer, pour laisser à Marc Thiercelin les honneurs d’être bien le deuxième marin à entrer dans le chenal des Sables. Au final, six skippers seront classés. Au podium, il faut ajouter les noms de Eric Dumont et ceux de deux autres héros : le Britannique Pete Goss, sauveur de Raphaël Dinelli et enfin Catherine Chabaud, qui devient ainsi la première femme à boucler une course autour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance.
Le classement de l'édition
- Christophe Auguin (Fra, Geodis) : 105 jours 20h heures 31 minutes
- Marc Thiercelin (Fra, Crédit Immobilier de France) : 113j 08h26'
- Hervé Laurent (Fra, Groupe LG-Traitmat) : 114j 16h43'
- Eric Dumont (Fra, Café Legal-Le Goût) : 116j 16h43'
- Pete Goss (G.B, Aqua Quorum) : 126j 21h25'
- Catherine Chabaud (Fra, Whirlpool-Europe 2) : 140j 04h38'
Hors-course
- Isabelle Autissier (Fra, PRB), safran cassé (Cape Town)
- Yves Parlier (Fra, Aquitaine Innovations), safran cassé (Perth)
Les abandons
- Bertrand de Broc (Fra, Votre nom autour du monde), sur chavirage
- Tony Bullimore (G.B, Exide Challenge), sur chavirage
- Thierry Dubois (Fra, Pour Amnesty International), sur chavirage
- Nandor Fa (Hon, Budapest), sur avarie de quille puis collision avec cargo
- Didier Munduteguy (Fra, Club 60è Sud), bris de mât puis problème de structure
- Raphaël Dinelli (Fra, Algimouss), sur chavirage (Sud-Ouest de l'Australie)
- Patrick de Radiguès (Bel, Afibel), s'est mis sur les cailloux après escale
Disparitions
- Gerry Roufs (Can, Groupe LG2)