Le quatrième Vendée Globe marque un tournant. Le traumatisme de 1996 est encore dans les mémoires et on a amélioré la sécurité. La médiatisation est surmultipliée grâce aux images embarquées. Mais surtout, le tour du monde devient une véritable régate planétaire. Et à ce petit jeu, si l’on voit l’avènement d’une certaine Ellen MacArthur, c’est bien Michel Desjoyeaux le plus fort.
Le drame du Canadien Gerry Roufs, disparu en mer lors de l’édition précédente, est encore vivace. Les coureurs regroupés au sein de leur association IMOCA ont imposé des règles de construction et de sécurité plus strictes, notamment les tests de retournement des bateaux. Isabelle Autissier (qui avait recherché Gery Roufs en vain quatre ans auparavant) approuve. Elle n’est pas au départ cette année-là, mais joue un rôle clé en coulisses : car c’est elle qui a conseillé à Jean-Jacques Laurent, Pdg de PRB, d’engager comme skipper un talentueux Figariste : Michel Desjoyeaux. Le conseil va s’avérer fort bien inspiré.
« Je ne suis pas un aventurier »
Ils sont vingt-quatre marins en lice pour ce Vendée Globe du nouveau millénaire, dont onze étrangers venus de Belgique, Suisse, Italie, Espagne, Russie, Angleterre. Il y a deux femmes au départ : Catherine Chabaud et la jeune Britannique Ellen MacArthur, 24 ans seulement. Côté favoris, outre Desjoyeaux on cite surtout Yves Parlier, Roland Jourdain, Mike Golding, voire Marc Thiercelin, Thomas Coville ou Dominique Wavre. Petit problème toutefois : un furieux coup de tabac démonte la mer dans le golfe de Gascogne et la Direction de course soit se résoudre à reporter le départ. Initialement prévu le dimanche 5 novembre, le coup de canon est finalement donné quatre jours plus tard. Peu importe, la course est lancée pied au plancher et ce sont Roland Jourdain et Michel Desjoyeaux qui donnent le ton : le Vendée Globe est désormais une régate planétaire et c’est à pleine vitesse que la course se joue, comme en Figaro ! Leurs adversaires s’inquiètent déjà de ce rythme infernal, regrettant le temps où il fallait savoir ménager sa monture. Les leaders, eux, font le job comme ils savent faire : en tirant le meilleur parti de la machine. « Je ne suis pas un aventurier, je suis un compétiteur », martèle Desjoyeaux.
Derrière, la petite anglaise s’accroche. Ellen MacArthur envoie des images et des sons de sa vie à bord, ne cache rien de ses joies quand elle danse sur le pont de son bateau… ou de ses frayeurs quand elle doit grimper au mât. Le grand public l’adopte, et elle devient vite la préférée des médias. Des médias d’ailleurs bien nourris puisque cette édition marque aussi l’avènement de l’utilisation de moyens de communication de plus en plus sophistiqués, permettant une liaison mer-terre toujours plus développée.
Côté course, lors des deux premières semaines de mer, on déplore déjà des abandons. Patrick de Radiguès a eu beaucoup de chance : alors qu’il s’était assommé dans une embardée de son bateau, celui-ci a dérivé et s’est échoué sur une plage portugaise ! Bernard Stamm doit également jeter l’éponge sur avarie. C’est hélas le cas aussi pour Eric Dumont et Richard Tolkien. Le 1er décembre au beau milieu de l’Atlantique, les premiers sont à la latitude de l’Uruguay. Yves Parlier a réussi à prendre une belle avance sur Michel Desjoyeaux et Roland Jourdain. Ellen MacArthur est quatrième, en embuscade. Bonne Espérance est rapidement doublé mais l’océan Indien est cruel pour Yves Parlier : descendu trop sud, il est piégé dans des zones de calmes et cède sa place de leader à Michel Desjoyeaux, suivi par Roland Jourdain qui est 100 milles derrière à hauteur des Kerguelen. Le Grand Sud est épique, comme souvent…
Le mât de Parlier et le moteur de Desjoyeaux…
Ellen MacArthur et Josh Hall filment des immenses icebergs, tout près d’eux, pendant que Dominique Wavre avale 432 milles à 18 nœuds de moyenne. Surtout, l’ancien leader Yves Parlier a démâté mais veut continuer la course ! Il réparera son mât seul, dans un incroyable numéro de Robinson, sur l’île Stewart. Thierry Dubois s’est arrêté en Nouvelle-Zélande pour réparer et repartira hors course. Le 1er janvier 2001 en plein Pacifique, Michel Desjoyeaux pleure : son moteur ne démarre plus et sans lui pas d’énergie donc pas de pilote, pas d’instruments, donc pas de victoire. Mais là aussi le numéro est incroyable : grâce à un système de poulies reliées à la bôme de son bateau et un bon empannage pour créer le choc salvateur, il parvient enfin à redémarrer et reprend espoir : « système D ça veut dire Desjoyeaux, démerde toi pour démarrer ton diesel ! » lâche-t-il à sa caméra embarquée, pour une séquence qui restera dans les mémoires. Le 10 janvier, « Le Professeur » vire le cap Horn avec 600 milles d’avance sur Ellen MacArthur. Car cinq jours plus tôt, Roland Jourdain a avoué qu’une avarie sur son rail de grand voile l’oblige à naviguer sous voilure réduite, ce dont la jeune Britannique a profité pour lui chiper la deuxième place. Seul Marc Thiercelin parvient à s’accrocher au trio de tête. Roland Jourdain s’arrête et réussit une réparation express dans la crique chilienne de Caleta Martial.
La remontée de l’Atlantique Sud est épique, de nombreux « coups d’accordéon » creusant et réduisant les écarts entre les quatre bateaux de tête qui ont définitivement fait le trou, via deux duels : les leaders Desjoyeaux et MacArthur sont au coude à coude au passage de l’équateur tandis que Jourdain et Thiercelin sont à la lutte pour la troisième place… mais le bateau de Roland est bien plus rapide au près que celui de Marc. Devant, l’empoignade finale tourne à l’avantage de Michel Desjoyeaux, plus inspiré dans sa stratégie météo. Le 8 février, alors qu’une dépression lève une mer méchante sur le chemin du retour, l’étai du monocoque d’Ellen MacArthur cède, ruinant l’infime espoir d’un miracle.
Le 10 février 2001, un immense feu d’artifice et une fête mémorable accueillent en vainqueur Michel Desjoyeaux et son PRB. « Le Professeur » peut bien écraser une petite larme. Pour la première fois un solitaire réussit un tour du monde en moins de 100 jours : 93 jours, 03 heures, 57 minutes ! La foule est considérable, l’émotion à son comble. Ce sera aussi le cas le lendemain pour accueillir Ellen MacArthur puis, deux jours plus tard, quand Roland Jourdain complètera ce podium royal. Yves Parlier, lui, maintiendra son monde en haleine un mois supplémentaire : au terme de son périple, « l’extraterrestre » terminera en 126 jours.
Le classement de l'édition
- Michel Desjoyeaux (Fra, PRB) : 93j3h57'32''
- Ellen MacArthur (G.B, Kingfisher) : 94j4h25'40''
- Roland Jourdain (Fra, Sill Matines La Potagère) : 96j1h2'33''
- Marc Thiercelin (Fra, Active Wear) : 102j20h37'49''
- Dominique Wavre (Sui, Union bancaire Privée) : 105j2h45'12''
- Thomas Coville (Fra, Sodebo) : 110j7h24'
- Mike Golding (G.B, Team Group 4) : 110j16h22'
- Bernard Gallay (Fra-Sui, Voilà.fr) : 111j16h7'11''
- Josh Hall (G.B, Gartmore) : 111j19h48'2''
- Joé Seeten (Fra, Nord-pas-de-Calais/chocolats du Monde) : 115j16h46'50''
- Patrice Carpentier (Fra, VM Matériaux) : 116j00h32'48''
- Simone Bianchetti (Ita, Aquarelle.com) : 121j1h28'
- Yves Parlier (Fra, Aquitaine Innovations) : 126j23h36'
- Didier Munduteguy (Fra, DDP/60è Sud) : 135j15h17'55''
- Pasquale de Gregorio (Ita, Wind Telecommunicazioni) : 158j2h37'25''
Hors-course
- Catherine Chabaud (Fra, Whirlpool), sur démâtage
- Thierry Dubois (Fra, Solidaires), problèmes électroniques
- Raphaël Dinelli (Fra, Sogal Extenso), avarie de safran
Les abandons
- Fedor Konioukhov (Rus, Modern University for The Humanities)
- Javier Sansó (Esp, Old Spice)
- Eric Dumont (Fra, Euroka Un univers de Services), avarie de safran
- Richard Tolkien (GB, This Time), avarie de gréement
- Bernard Stamm (Sui, Armor-Lux/foies Gras Bizac), avarie barre et pilote automatique
- Patrick de Radiguès (Bel, Libre Belgique), échouage sur les côtes portugaises