New York Vendée - Les Sables d'Olonne New York Vendée - Les Sables d'Olonne
New York Vendée - Les Sables d'Olonne New York Vendée - Les Sables d'Olonne

09 January 2021 - 21h02 • 22515 vues

Partager

Article

Invité du Vendée Live ce midi, Stéphane le Diraison a partagé l'ampleur de la dépression qu'il doit affronter depuis hier. Un témoignage impressionnant. 

« C’est un vrai Pacifique qui ne porte pas son nom, un océan franchement hargneux qui accueille le groupe de six dans lequel je navigue. J’avance sous trois ris dans la grand-voile, depuis une semaine, et là ça fait 48 heures que j’ai le tourmentin, la voile de tempête, à l’avant. Une image me marquera pour le restant de ma vie : un grain a amené 60 nœuds avec des vagues de 8 mètres déferlantes et qui couchaient le bateau, toutes voiles choquées, une averse de neige et le vent qui hurlait dans les haubans, et le sentiment d’impuissance face à cette mer puissante, laiteuse tant elle était blanche d’écume, qui appelait la contemplation. Je suis aussi content d’avoir vécu cette expérience très forte au niveau humain que d'avoir surmonté ça. Surtout au niveau physique : il fait très froid. C’est très exigeant au niveau mental et psychique d’affronter des conditions pareilles, et durables. 

Débrancher le cerveau, c’est l’expression la plus juste que j’ai trouvée. Je suis dans mon duvet, emmitouflé parce qu’il fait 4 degrés ; le bateau est couché par une vague, il faut donc que je sorte, que je m’habille de vêtements trempés, au milieu de la nuit. Il ne faut pas réfléchir, ne pas se demander pourquoi ; il faut prendre les informations fondamentales les unes après les autres et ne pas analyser plus.

La nuit, ça ne nous aide pas : on ne perçoit plus les grains, on ne perçoit pas les vagues, on appréhende les choses autrement. Pour traverser ça, je m’appuie sur ma préparation mentale. Je m’appuie sur la méditation pour recentrer mon esprit sur l’instant, en essayant d’éviter les pensées parasites. Face à un pantalon humide, j’essaie d’enlever ce qui est associé : le froid, l’aspect désagréable ; je me concentre sur le fait que je dois m’habiller pour régler le bateau. C’est fondamental parce qu’il en va de ma survie. J’essaie de remplacer les pensées négatives par autre chose. C’est un exercice qui ne s’improvise pas, mais ça fonctionne et ça permet d’être un bon soldat dans l’action et pas la réflexion.

Je n’ai pas dormi pendant 15 ou 20 heures dans le gros de la dépression, je ne tenais même pas dans la couchette. La seule fois où j’ai essayé, une vague m’a envoyé m’accroupir dans la cloison de mât. Comme je pouvais anticiper la situation, j’ai accumulé du sommeil les deux ou trois jours qui ont précédé. Ensuite, ça tire sur le bonhomme. J’ai passé 15 heures les écoutes à la main, chaque minute est longue. J’ai encore du gros, mais ça va se calmer ; je fatigue, je manque un peu de discernement, alors je navigue prudemment. Et ce qui me motive, c’est que je vais retrouver mon duvet et ma bannette dans une quinzaine d’heures (entretien réalisé à 12h30 ce samedi, ndlr). Ce sera l’heure de la récupération, tant pis pour la course : je refais d’abord de l’énergie ».

 

Stéphane Le Diraison / Time for Oceans