New York Vendée - Les Sables d'Olonne New York Vendée - Les Sables d'Olonne
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09 January 2021 - 18h10 • 18862 vues

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Tandis que Yannick Bestaven (Maître CoQ IV) négocie âprement sa liberté conditionnelle avec les cellules anticycloniques qui l’emprisonnent depuis vendredi et que ses garde-chiourmes foncent sur lui debout dans les étriers, le sabre au clair, ça cogne dur dans l’arrière-cour. Le plus secoué de tous, Stéphane le Diraison témoigne.

Invité ce midi de l’émission Vendée Live, Stéphane le Diraison avait la tête du boxeur groggy après avoir encaissé douze rounds face à Mike Tyson. Groggy, le skipper de Time for Oceans l’était, mais il n’a pas été compté même si le bateau s’est couché plusieurs fois sous l’impact de la monstre dépression venue du Sud, de l’Antarctique.

Il y a quatre ans, Stéphane Le Diraison avait renoncé avant le cap Leeuwin suite à un démâtage. Son premier rendez-vous avec le Pacifique est donc tout frais, et il est plutôt placé sous le signe de l’amour vache : « C’est un océan franchement hargneux qui accueille le groupe de six dans lequel je navigue. J’avance sous trois ris dans la grand-voile depuis une semaine et, là, ça fait 48 heures que j’avance avec le tourmentin, la voile de tempête, à l’avant ».

Le « gratin », c’est un grain
Mais ces premiers jours n’étaient qu’un hors-d’œuvre, une mise en bouche épicée qui a laissé place à un plat de résistance encore plus copieux que le skipper, hagard, lucide et poignant, a raconté par le détail : « J’ai eu le gratin, hier. Une image me marquera pour le restant de ma vie : un grain a amené 60 nœuds avec des vagues de 8 mètres, déferlantes, et qui couchaient le bateau. J’étais toutes voiles choquées, dans une averse de neige, et le vent hurlait dans les haubans ; et (j’avais) un sentiment d’impuissance face à cette mer puissante, laiteuse tant elle était blanche d’écume, qui appelait la contemplation. Je suis content d’avoir vécu cette expérience très forte au niveau humain, c’était quelque chose que de surmonter ça. C’est exigeant au niveau mental et psychique d’affronter des conditions pareilles, et durables ».

Armé mentalement par une longue préparation qui l’a mené vers la méditation, Stéphane le Diraison y a trouvé les outils pour surmonter l’insurmontable : « Je m’appuie sur la méditation pour recentrer mon esprit sur l’instant, en essayant d’éviter les pensées parasites. Face à un pantalon humide, j’essaie d’enlever ce qui est associé : le froid, l’aspect désagréable ; je me concentre sur le fait que je dois m’habiller pour régler le bateau. C’est fondamental parce qu’il en va de ma survie. J’essaie de remplacer les pensées négatives par autre chose. C’est un exercice qui ne s’improvise pas, mais ça fonctionne et ça permet d’être un bon soldat dans l’action et pas la réflexion ».

Soumis au régime vraiment pas sec depuis une semaine, le solitaire avait pu anticiper cet épisode en cumulant des heures de sommeil pendant deux jours, afin de tenir le coup : « Pendant 15 à 20 heures, dans le gros de la dépression, je ne tenais même pas dans la bannette. La seule fois où j’ai essayé, une vague m’a envoyé m’accroupir dans la cloison de mât. J’ai passé 15 heures les écoutes à la main, chaque minute est longue. J’ai encore du gros, mais ça va se calmer ; je fatigue, je manque un peu de discernement, alors je navigue prudemment ».

La fin de la nuit devrait sonner la fin du combat, la dépression australe s’étiolant dans les heures à venir. Stéphane le Diraison pourra alors lâcher un temps la notion de course (il est 19e) pour s’abandonner à un impératif repos.


Vers une semaine à subir
Clément Giraud (La Compagnie du Lit – Jiliti) se prépare, lui, à affronter un épisode dépressionnaire d’envergure majeure. Faisant route avec Miranda Merron (Campagne de France), qu’il a jointe pour la première fois il y a quelques heures, le skipper antillais a déjà pris un premier « coup de bambou, au près dans 40-45 nœuds, ce n’était pas très drôle pour le bateau. La mer était un chantier pour nous aujourd’hui, c’était n’importe quoi, les surfs passaient de 12 à 25 nœuds. Ce n’était pas une super journée au niveau navigation surtout que les bateaux tapent beaucoup dans cette mer-là ».

Ce n’était qu’une mise en bouche : la semaine promet au tandem des systèmes dépressionnaires sans échappatoires. « On va prendre beaucoup d’air, surtout le 14 janvier où on aura beaucoup de vent pendant 48 heures, dit le 24e du classement. Ça ne va pas être simple et ça va être comme ça jusqu’au Horn. Il y a 3 ou 4 bouts de dépressions qu’il va falloir gérer. Je suis très concentré et je prends conscience que je suis en train de faire quelque chose d’hors norme. Je me mets dans un certain mode psychologique jusqu’aux Malouines. Là je prends conscience que ce qui arrive est énorme ».

« Vais-je pouvoir ramener le bateau entier ? »
Devant, ce n’est pas non plus la fête. Certes, Isabelle Joschke (MACSF) a paré le cap Horn et elle a retrouvé l’Atlantique, mais elle n’en a pas fini avec les systèmes météo et la mer des Quarantièmes. L’apprentissage de ses nouveaux réglages, forcé par les problèmes de quille, qu’elle ne doit plus faire basculer, se fait en mode express, au jugé et au mental : « Ça fait 24 heures que je naviguais au près dans une mer vraiment difficile avec le bateau qui tapait et une espèce de dépression qui nous dépassait, racontait-elle ce matin. J’ai donc passé la nuit à réduire la voilure, faire en sorte que le bateau tape le moins possible, attendre la rotation du vent, remettre de la voilure, etc. Parfois, je me demande si je vais pouvoir ramener le bateau entier. Avec des mers comme cela, je ne sais pas comment on fait pour préserver les bateaux. Même en ralentissant, ça tape beaucoup. Je dois avoir 3 ou 4 mètres de creux, mais elle est toujours de face car je navigue au près et je suis la rotation du vent. Je suis au vent de travers et elle est encore de face, alors qu’à 100 degrés du vent, je devrais pouvoir glisser. Et, non, ça ne glisse pas. Je n’en reviens pas de la brutalité de nos bateaux. C’est très souvent comme ça, dès qu’il y a un peu de mer, le foiler devient un truc de maso. Il y a à la fois l’inconfort car c’est comme si on vous mettait des claques toute la nuit alors que vous voulez aller vous coucher, mais il y a en plus le stress de se demander ce que le bateau peut supporter ». 


Entre les murs
Du stress ? On n’ose imaginer celui que doit subir Yannick Bestaven, tout à l’avant de la flotte mais qui, heure après heure, voit son avance fondre comme beurre d’Isigny au soleil de Cali – la ville, pas le marin. En 24 heures (au classement de 15 heures ce jour), le skipper de Maître CoQ IV a perdu la moitié de son avance sur Charlie Dalin (Apivia) à force de faire les cent pas entre deux cellules anticycloniques qui forment un mur dans son Nord, et sa situation ne va pas s’améliorer tout de suite, d’autant que son dauphin et Thomas Ruyant (LinkedOut) vont avoir la capacité de longer le mur de la prison par l’extérieur.

Majoritairement sur leur bonne amure (bâbord), qui leur permet de s’appuyer sur le foil tribord, les deux avancent fort, avec un net avantage pour Apivia, flashé à 21,6 nœuds entre les deux derniers classements, et à 17,3 nœuds en 24 heures. Thomas Ruyant, lui, a tenu plus de 15 nœuds de moyenne sur 24 heures. Yannick Bestaven, lui, n’a avancé qu’à 9,7 nœuds dans le même laps de temps. À combien sera réduite l’avance, au terme de cet épisode de vent faible lundi, entre Sao Paulo et Rio de Janeiro ? Difficile de le dire, mais Yannick Bestaven devrait être le premier à toucher des vents soutenus tandis qu’Apivia et LinkedOut devront probablement devoir négocier des airs faibles et orientés au Nord. Maître CoQ IV, toujours doté de ses deux foils, s’envolera-t-il à nouveau ?

A noter 
. Sébastien Destremau (merci) devrait franchir la longitude de la Tasmanie cette nuit : il sera alors le dernier à quitter l’océan Indien pour le Pacifique.  

. Alex Thomson (HUGO BOSS) a quitté la ville du Cap (Afrique du Sud) pour convoyer son bateau jusqu’en Grande-Bretagne.

La rédaction / FP