Bonne-Espérance et bonne étoile… ou pas

Semaine 4 du 29 novembre au 06 décembre

Semaine 4 du 29 novembre au 06 décembre

Cette semaine, qui s’ouvre en ce dimanche 29 novembre 14h02 et 1 seconde, avait donc choisi d’exister plus que n’importe quelle autre. D’emblée, cette 4e semaine de course a joué cartes sur table, faisant pointer, au cap de Bonne-Espérance, les IMOCA les plus rapides jamais créés quatre jours après le temps réalisé par Alex Thomson quatre ans plus tôt. Puis sa crise existentialiste a pris de l’ampleur, infligeant à la flotte et à l’immense public séduit par le Vendée Globe le naufrage de Kevin Escoffier dans les mers du sud, le déroutage de quatre marins, le sauvetage miracle de Jean le Cam, deux abandons majeurs, les premières flèches de l’Indien…

© Clarisse Cremer / Banque Populaire X
© Manuel Cousin / Groupe SETIN

Les chiffres
de la semaine !

  • 4 marins déroutés pour sauver Kevin Escoffier
  • 12h32 Le temps passé par Kevin Escoffier dans son radeau
  • 22j 9h 51min pour arriver à Bonne-Espérance (pour Charlie Dalin - 1er)
  • 4 abandons (avec Sébastien Simon et Sam Davies)

11 minutes après la naissance de ce 30 novembre 2021, Charlie Dalin (APIVIA) franchit en leader le cap de Bonne-Espérance après 22j 9h 51min de course, soit 4 jours et demi de plus qu’Alex Thomson il y a quatre ans. Certes, les deux n’ont pas eu la même mer, ni les mêmes vents, et encore moins les mêmes trajectoires, à quatre ans de distance, mais le chiffre interroge : et si les foilers de 2e génération étaient, finalement, trop sensibles aux vagues pour donner la pleine mesure de leur potentiel ?

Kevin Escoffier (PRB) : C’est surréaliste ce qui s’est passé. Le bateau s’est replié sur lui-même dans une vague à 27 nœuds. J’ai entendu un crac. En quelques secondes, il y avait de l’eau partout. L’arrière du bateau était sous l’eau et l’étrave pointait vers le ciel.


Le milieu n’aura pas eu le temps de répondre à la question qu’un drame se noue à environ 400 milles à l’arrière. Il est 14h46 ce lundi 30 novembre quand Kevin Escoffier lance un Mayday – accompagné d’un mot pour son équipe : « Ce n’est pas une blague ». La terre réagit aussitôt. L’équipe de PRB, d’abord, puis CROSS Griz-Nez, et la direction de course, qui déroute manu militari un, puis deux, puis quatre skippers pour quadriller la zone. Nous vous proposons de relire dans ce papier le déroulement des faits.

Il est 02h18 ce mardi matin quand Jean le Cam, qui a multiplié les virements dans la zone qui lui était attribué, parvient à récupérer Kevin Escoffier (lire ici), libérant toute une flotte de la sourde angoisse qui l’étreignait. Invités à l’émission Vendée Live du lendemain (voir l’émission), les deux compères endossent leur tunique de super-héros. Ne vous fatiguez plus à chercher le vainqueur de cœur de ce Vendée Globe : il a une sacrée tignasse, 61 ans, et des mots qui touchent le fond de l’âme.

Intégré au dispositif de recherche de Kevin Escoffier, Sébastien Simon (Arkea-Paprec) a joué de malchance le lendemain : un choc avec un ofni le condamnera à abandonner le surlendemain, au moment où Alex Thomson, qui a atteint les rives de la ville du Cap, officialise son abandon.
Sam Davies aussi, a connu des malheurs entretemps. Un arrêt-buffet qui a tout fait voler : le bateau, le matériel et la navigatrice. L’une souffre des cervicales et des côtes, l’autre de la quille. Les deux font route vers Le Cap à petite vitesse, désormais, moral en berne pour la navigatrice de Initiatives-Cœur, qui annoncera le 5 décembre devoir abandonner et jurer de repartir hors-course.

Le résumé de cette semaine cruciale ne serait pas complet si l’on omettait d’évoquer qu’un protocole de compensations commence à se mettre en place afin de ‘réparer’ les déroutages de Jean le Cam, de Sébastien Simon (qui n’aura pas le loisir d’en profiter), de Boris Herrmann et de Yannick Bestaven, tous à l’ouvrage dans la soirée et la nuit du 30 novembre au 1er décembre pour retrouver le radeau de survie dans lequel Kevin Escoffier avait pris place. Le dimanche 6 décembre au matin, Kevin Escoffier embarque à bord du Nivôse et Jean le Cam reprend sa route en solitaire.

Boris Herrmann (Seaexplorer - Yacht Club de Monaco) : Dans la situation-même, j’étais focalisé, très calme. Je n’avais pas vraiment d’émotion, un peu de peur pour Kevin.Le stress, c’était que la surface de la zone de recherche était grande. Ce matin, les émotions sortent. Je suis soulagé, mais aussi un peu triste.

Le résumé ne serait pas complet non plus sans l’analyse stratégique de cette semaine lors de laquelle, décidément, beaucoup de choses se seront jouées.

Stratégie : des milles et des cents

Alors que le reste de la flotte (quatre abandons déclarés) navigue dans des conditions très différentes de l’océan Indien à l’Atlantique Sud, il y a encore bien des bords à parcourir et les écarts se comptent désormais en plusieurs centaines de milles ! À l’avant, Charlie Dalin semble avoir opté pour le ralentissement et une route plus Nord que les routages ne l’imaginaient. Dans le même temps, Thomas Ruyant gère son foil "manquant", Louis Burton sort du doute électronique et JeanLe Cam se retrouve de nouveau seul à bord… Plus de 10 000 milles au compteur orthodromique (sur la route la plus « directe »), mais encore plus de 15 000 milles à « avaler » ! Charlie Dalin (Apivia) ne fait que débuter sa grande traversée des mers du Sud… Et s’il comptait jusqu’à 300 milles de marge à la sortie de l’anticyclone de Sainte-Hélène, ce ne sont plus que 200 milles qui le séparent de ses deux « dauphins », Thomas Ruyant (LinkedOut) et Louis Burton (Bureau Vallée 2).

Yannick Bestaven(Maître CoQ IV) : C’est ambiance ‘sous-marin’, le bateau est constamment sous l’eau. Je vis comme un sanglier, je ne fais que les choses essentielles et vitales. Quand tu veux aller te laver les dents dehors tu prends des risques…

La faute à une dépression secondaire qui s’immisce sur la route du cap Leeuwin (à 2 000 milles de son étrave tout de même) : deux solutions s’offraient à lui ; soit « cravacher » pour se retrouver en avant d’un flux de Nord plus que puissant pour faire un « break » quasiment impossible à rattraper (plus de 800 milles de marge) ; soit rester dans une zone de « confort » avec moins de trente nœuds de brise en empannant assez tôt et en relâchant la pression pour se reposer et voir venir…

Il y a les modèles et il y a la réalité !

Car à quoi cela servirait-il de mettre du charbon si c’est pour partir au tas et risquer de casser une pièce essentielle ? Mieux vaut assurer sa domination, surtout lorsque les poursuivants les plus incisifs sont relégués à une demi-journée, avec en sus des problèmes techniques à résoudre ! C’est ce que semble avoir choisi le leader qui multiplie les trajectoires fluides et gère parfaitement pour l’instant, la longue et fastidieuse traversée de l’océan Indien. Car il reste encore 4 000 milles avant de glisser sous la Nouvelle-Zélande et de commencer à imaginer que le Pacifique sera moins agressif que l’Indien, que la sortie du « tunnel des ombres » est enfin à portée de lance-pierres.

Bref, il y a un monde virtuel où un bateau à voile n’est qu’un jouet qui progresse vers le but quelque soient les conditions de mer et de vent, et un monde réel qui prend en compte, la fatigue, la lassitude, les problèmes techniques, les histoires du coin du feu et l’âge du capitaine… Il n’est d’ailleurs pas étonnant de voir Jean Le Cam (YesWeCam!) se « dérouter » vers le Nord-Ouest pour prendre le dos de la nouvelle dépression quand ses collègues plus au Sud (Damien Seguin et Yannick Bestaven) vont avoir bien du mal à transpercer le front qui se forme devant leurs étraves !

Des modèles, Jean Le Cam en a eu, et des prévisions plus encore, mais de fait, voilà sa force : ce « Jedi » du Vendée Globe pourrait bien sortir dans le trio de tête à l’issue de cette très mauvaise dépression qui a volonté à changer la face du monde austral… En ces jours-préludes à un été fort perturbé ! Car si les regards se tournent logiquement vers la tête, le tronc n’est pas au nirvana : certes Romain Attanasio (PURE-Best Western Hotels&Resorts) et Clarisse Crémer (Banque Populaire X) vont réussir à échapper au chaos, mais le groupe suivant n’a probablement pas cette chance !

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Les voix du globe #22

Ciré et bonnet enfilés (ou presque).

Les voix du Globe #23

Carte postale australe.

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Mayday.

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La prudence est de mise.

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Les OFNI des mers du sud.

Les voix du Globe #27

L’acclimatation.

Les voix du globe #28

Soit le nombre de concurrents en course

Quand ça va mal, ça va mal…

Bloqués par la Zone d’Exclusion Antarctique (ZEA), la « bande des quatre » (Roura-Le Diraison-Tripon-Boissières) va avoir la malchance de subir une dépression qui se forme sous l’Afrique du Sud et qui va les « cueillir » d’ici mardi avec du vent de Nord à Nord-Est puissant (25 à 35 nœuds !). Alors que Thomas Coville et ses hommes (sur le trimaran Ultim Sodebo, en route pour le Trophée Jules-Verne) vont pouvoir glisser sous les icebergs repérés sous l’archipel de Crozet (les growlers, ces glaçons de plusieurs tonnes, sont plutôt au Nord des glaces principales), puisqu'ils n'ont pas les impératifs de respecter la ZEA.

Emberlificotés dans les tentacules de la « pieuvre anticyclonique » qui s’étend du cap Frio (Brésil) au Sud du cap de Bonne-Espérance, ce groupe risque fort de subir un sérieux coup de vent jusqu’à mercredi prochain… Et ce n’est pas non plus pour satisfaire les deux packs de queue : normalement, le trio Cousin-Costa-Hare va s’engluer dans les petits airs de l’anticyclone alors que les derniers vont fondre sur eux, portés par le front d’une nouvelle dépression.

Après quatre semaines de mer, les centaines de milles qui marquaient les écarts entre les groupes ont muté en milliers de milles ! Quand il y avait 1 500 milles de delta entre Apivia et merci au passage de l’équateur, il y en a désormais plus de 3 500 milles… Et les écarts ne devraient qu’augmenter ces jours prochains quand le leader va sortir de l’océan Indien (au Sud de la Tasmanie) et que le dernier de la flotte aura à peine franchi la longitude du cap de Bonne-Espérance… Il y en aura, des milles et des cents !